Expat en FranceExpatriation

Interview d’expat: une Vaudoise devenue comtesse!

Cette semaine, je vous propose de découvrir le parcours étonnant de Marnie, une Vaudoise qui a épousé un comte français. Elle a abandonné son beau canton pour se consacrer à la gestion d’un château familial, dans la vallée de la Loire. Oui, rien que ça, un sacré défi!

J’espère que cette nouvelle interview d’expat vous plaira, après celle du couple suisse qui popularise la fondue au Québec et celle de Michèle du Périgord sur les clubs suisses. Si vous avez d’autres candidats à me proposer, n’hésitez pas à les dénoncer soumettre dans les commentaires ;)

La Comtesse Marnie de Vanssay, qui gère le Château de la Barre et son luxueux B&B, a donc répondu à mes questions via e-mail. Tiens, notre châtelaine est volubile et… toujours attachée à la Suisse!

Interview d’une expat suisse: Marnie de Vanssay

Bonjour Madame la Comtesse! Vous êtes originaire du canton de Vaud, mais cela fait 13 ans que vous vivez dans le Pays de la Loire. Que faisiez-vous en Suisse avant de vous expatrier, et qu’est-ce qui a le plus changé dans votre vie après votre installation en France? On veut connaître votre histoire!

Marnie de Vanssay: En Suisse, je travaillais dans le domaine du conseil en recrutement, à Genève, et je vivais dans le très beau village de Féchy, où mes parents avaient élu domicile et construit une maison, sur les hauteurs, surplombant les vignobles et le lac. En épousant le Comte Guy de Vanssay, 20ième du nom vivant dans la demeure familiale depuis 1404, je savais qu’il nous faudrait tôt ou tard « reprendre le flambeau » et nous installer dans son château de famille, mais nous avions espéré vivre quelque temps en Suisse avant cela. Cependant, le décès de mon beau-père en 2002 en a décidé autrement.

Chateau-de-la-Barre

Le Château de la Barre (Crédit des photos de l’article: De Vanssay)

Cela a été un crève cœur pour moi d’abandonner cette vue plongeante sur les vignobles et le lac, cette vie de village chaleureuse, et mes amis dans la région.  Heureusement que nous bénéficions ici d’une vue presqu’aussi magique sur le jardin fleuri, l’étang, la rivière et la vallée paisible. Et puis, 40 ha de parc privé, sans aucune nuisance, c’est rare et précieux. Ce qui a en premier lieu le plus changé lors de mon installation en France, dans le château de famille, a été au point de vue professionnel. Nous avons tout de suite réalisé qu’il serait impossible de maintenir ce genre de demeure ancestrale (à moins d’une fortune colossale) sans l’ouvrir au public en tant que chambres d’hôtes. Une activité fort différente du métier dans le conseil en ressources humaines auprès de multinationales américaines ! J’ai dû apprendre à préparer du mortier, la différence entre ciment et chaux, appliquer du silicone, mastiquer une fenêtre pour réparer les vitres, manier la perceuse et la scie…

Heureusement, j’ai pu concilier un temps les deux métiers, la société eBay acceptant que je continue à travailler comme consultante en recrutement depuis mon domicile. Parfois je me trouvais en haut d’une échelle, à mener un entretien d’embauche, en tenant une truelle d’une main, le téléphone dans l’autre !

Quelles ont été vos plus grosses surprises en changeant de pays? Les quiproquos qui sont devenues des anecdotes?

La première surprise fut la découverte de la cave à vins de mon mari, qui effectivement, prenait des proportions gigantesques par rapport à celle de mon père en Suisse, qui pourtant était intéressante, mais n’avait rien à voir avec celle d’un château.

La seconde surprise était aussi de l’ordre gastronomique. J’ai toujours aimé le café du Port à Rolle avec ses filets de Perche, L’Auberge du Chasseur à Essertines, les Malakoffs à L’Auberge de Luins, mais les plats proposés dans quelques petites auberges villageoises près du Château portent l’art de vivre à une toute autre dimension ! Ainsi par exemple « Le Relais d’Antan » à Lavardin, village pittoresque au bord du petit Loir, qui propose des Lasagnes aux Langoustines, un fricassé de Homard, un Sandre Beurre Blanc, Fromages et Croquant au Chocolat, pour 45 € ! Des menus exquis à des prix dérisoires !

Couple-Vanssay

L’autre surprise, c’est le cloisonnement des classes sociales. En Suisse, on est citoyen suisse. Ici, on est ouvrier, artisan, bourgeois ou aristo, et on ne se mélange pas.

Comme me le fit remarquer une hôte, un jour : « tu sais, finalement, tu es sympa, pour une comtesse ». Éberluée, je lui ai demandé le pourquoi de son commentaire. Elle m’a répondu qu’elle s’attendait à rencontrer une personne hautaine, distante, snob.

Moins évident, lors de la création de notre activité de chambres d’hôtes, j’ai été sidérée par la complexité des réglementations, une certaine lourdeur administrative, et une politique sociale fort différente de mes habitudes suisses. Et puis, il faut savoir s’habituer à un autre style de relations au travail. M’inscrire au RSI a été un véritable parcours du combattant ! Rien, mais rien à voir avec un téléphone à l’AVS en Suisse.

J’ai vraiment senti la différence en allant renouveler mon passeport Suisse, le mois dernier. La prise du rendez vous a été rapide, le site internet est clair, compréhensible, on sent qu’il a été fait pour faciliter les démarches du citoyen. Je suis arrivé à 10h45 comme convenu, l’accueil a été très aimable, sympathique, et je suis ressortie 35 minutes plus tard ! Pas de file d’attente et de guichet qu’on ferme au moment où c’est votre tour.

Vous arrive-t-il encore d’utiliser des expressions suisses?

Justement, l’expression « ya pas le feu au lac » ! Et puis une autre que j’aime beaucoup : « plus je vois ce que je vois, et j’entends ce que j’entends, j’ai raison de penser ce que je pense ». Puis quelques verbes qui surprennent régulièrement mon mari, comme guigner pour regarder en coin. Et enfin, je ne puis m’empêcher de compter en utilisant septante et nonante pour le soixante dix et le quatre vingt dix, qui demeurent pour moi illogiques et difficiles !

Faire revivre le Château de la Barre, qui est dans la famille de votre mari depuis 1404, cela doit être un sacré défi! Qu’avez-vous dû faire pour adapter le lieu aux visiteurs et ouvrir des chambres d’hôte?

Heureusement, la disposition des chambres était déjà idéale pour recevoir des hôtes, peu étant communicantes. Evidemment, il a fallu créer des salles de bains attenantes à chaque chambre, en étant souvent très imaginatifs, tout en travaillant avec les contraintes imposées par les siècles. Le défi était surtout dû à la lourdeur administrative empreinte d’une multitude de réglementations prêtes à décourager les plus entreprenants.

Puis il nous a fallu repenser au fil du temps nos propres espaces, afin de préserver notre vie de famille de celle des hôtes. Nous avons donc rénové un gîte/cottage à côté du château, quasi attenant, que nous louons à la semaine en saison, mais que nous habitons aussi parfois nous-mêmes.

La décoration des chambres est-elle d’époque? Avez-vous fait restaurer les meubles et les papiers peints?

Nous avons la grande chance d’avoir une grande collection de très beau mobilier d’époque, principalement XVIIIième, hormis quelques coffres du XVIième,  et français, avec quelques meubles italiens et anglais, aussi du XVIIIième. Les tissus proviennent tous de grands éditeurs : Rubelli, Braquenié, Pierre Frey, Nobilis, Paul Marot. Nous avons dû faire restaurer quelques meubles et pendules, et devrons restaurer quelques tableaux prochainement. Nous avons peu de papiers peints, les tissus convenant mieux aux murs. C’est à la fois plus élégant, et plus durable, puis aussi, meilleur pour retenir la chaleur en hiver!

Chambre

Votre établissement est haut-de-gamme! Je crois que la chambre la moins chère est louée 350 € la nuitée. Ce tarif est-il nécessaire pour entretenir le Château de la Barre?

Indispensable, et encore, il ne suffit pas, car notre saison est courte, de Pâques à la Toussaint.  Toute réparation engendre des coûts cachés : échafaudages, « surprises » diverses et variées (murs fendus avec le temps, humidité, vétusté…). De plus, un château est entouré de « dépendances », qui coûtent très chers en entretien et ont généralement été laissées à l’abandon par les générations précédentes, lorsque le personnel les occupant avait dû être progressivement réduit au fur et à mesure de l’augmentation des charges. Du temps des grands-parents de mon mari, il y avait 12 personnes employées en permanence. Nous n’en avons plus que 2. Si les charges baissaient de moitié, nous en recruterions tout de suite 2 de plus.

Pourquoi faut-il alors que l’établissement soit haut de gamme ? Parce qu’en France, les charges nous tuent. Que nous louions une chambre avec un mobilier et une infrastructure (qualité des draps et salle de bains moyenne) à 100 € la nuit, ou que nous louions une chambre avec un mobilier d’exception et des draps monogrammés en lin à 350 € la nuit, le coût de réfection de ladite chambre est le même.

De surcroit, nous ne nous cantonnons pas à l’accueil ponctuel du client, style « voici votre chambre, bon séjour », tel qu’il se rencontre en général. Nous aimons nous donner à 100% pour que nos « clients » ne soient justement pas accueillis en tant que clients, mais en tant qu’amis qui vivent sous notre toit une expérience extraordinaire.

Vivant ici, j’ai compris pourquoi, dans le magazine Immobilier de Luxe en Suisse, à la dernière page, il y a toujours une liste d’une dizaine de châteaux à vendre en France, intitulée « Faites une Folie » : le prix de vente est dérisoire, surtout par rapport à de petites maisons vaudoises près du Lac, mais…in cauda venenum ! Mais j’adhère malgré tout à la phrase d’Oscar Wilde « Les folies sont les seules choses de ma vie que je ne regrette jamais » !

Soirée-concert-au-chateau-de-la-barre

Soirée musicale dans le cadre exceptionnel du château!

Qui sont vos visiteurs? Recevez-vous beaucoup de Suisses?

Nos hôtes étaient, au départ, en 2005, principalement français, puis surtout anglais, et maintenant, avec la crise économique et l’exode du pouvoir d’achat en France, nous ne recevons plus que 2% de français. En revanche, nous accueillons plus de 50% d’Américains du Nord (Canada et USA), beaucoup d’Australiens, quelques anglais et russes, quelques asiatiques et plus de 20% d’allemands, autrichiens et suisses alémaniques, confondus, pardonnez-moi ! C’est qu’ils réservent en langue allemande. Nos hôtes sont quasi tous très intéressants, sympathiques, ouverts d’esprit, communicatifs, et c’est une vraie joie que de les recevoir et d’apprendre à les connaître. Et nous gardons le contact avec bon nombre d’entre eux au fil des années.

Jusqu’aujourd’hui, nous n’avons pas reçu beaucoup de Suisses romands, ce que je regrette vivement ! Environ 1 couple par an, et c’est une vraie joie pour moi de les accueillir, c’est un peu comme de revoir un lointain cousin !

Au fait, qu’est-ce que ça fait d’être châtelaine et de porter un titre de noblesse?

C’est comprendre le vrai sens de l’expression « Noblesse oblige ». On représente un maîllon de la chaine dans la transmission d’une identité, d’un héritage, à la fois familial, spirituel, régional et national. On s’éloigne d’une pensée individualiste, on n’est pas propriétaire, on est gérant, pour les générations futures. On n’est pas ici pour thésauriser, mais pour maintenir. La notion de service est primordiale. On se consacre d’abord à Dieu et à sa famille, au sens élargi. Même si ces valeurs sont actuellement en perte de vitesse, l’aristocrate a l’habitude d’être à contre courant ! Comme disent les anglais : « only dead fish swim with the stream ! » C’est peut-être pour cela qu’on nous trouve parfois excentriques ?

Marnie-De-Vanssay

Avez-vous rencontré votre comte de mari en Suisse? (Histoire de savoir où on peut rencontrer un châtelain…)

J’ai rencontré mon mari en France, en 1978. C’était le frère d’une de mes amies d’université. Elle m’avait invitée au Château pour un weekend, et son frère et moi avions beaucoup sympathisé, mais rien de plus, car j’avais (et j’ai toujours !) presque six ans de plus que lui. Mais le hasard a fait que nous nous sommes retrouvés vingt ans après… J’avais un fils de mon premier mariage, lui était sans enfants, et il nous a « adoptés » tous les deux. Un « package deal », comme disent les Américains ! Notre fils, aussi de nationalité suisse, a maintenant 30 ans et travaille à Londres.

Parlons gastronomie. Avez-vous un chef en charge de la restauration au château? Mettez-vous parfois des plats suisses au menu? J’imagine que le papet vaudois ne figure pas sur la carte, non?

Non, malheureusement, je ne puis m’offrir le luxe d’un chef à plein temps. Encore une fois, les charges et les 35 heures rendent ce genre de luxe inabordable. Cependant, lorsque nous recevons un groupe ou une famille de plus de 10 personnes, un chef merveilleux, qui dans son temps a été plusieurs fois étoilé, vient cuisiner pour nous au château. Sinon, c’est moi et ma femme de ménage qui cuisinons. Et, toute modestie à part, je me défends pas si mal, puisque le guide Michelin nous a mis « bonne cuisine bourgeoise » !

J’aimerais bien mettre des plats suisses au menu, mais les hôtes viennent pour découvrir les spécialités françaises. Ceci dit, quand nous ne sommes que mon mari et moi, ou avec notre fils, nous adorons la fondue, bourguignonne ou fromage, et les Schnitzel, en particulier.

Noël

La table de Noël au Château!

Quels sont selon vous les incontournables de la région qui pourraient nous donner envie de visiter le Pays de la Loire?

Bien sûr, il y a les fameux châteaux de la Loire. Uniques au monde. Je crois qu’il y en a plus de 400 dans la vallée de la Loire et le Pays de Loire, dont une vingtaine très prestigieux. Chambord, Cheverny, Chenonceau, Langeais, Amboise, Blois, Azay le Rideau, Ussé, Chinon, Saumur, et le Lude sont les plus connus, bien sûr.

Et le vin, différent de nos cépages suisses, avec le Chenin et le Cabernet Franc et le Sauvignon, est à découvrir. Un bon Chinon, d’un producteur réputé, se garde 20 ans, et nous venons de boire notre dernière bouteille de Chinon Croix Boisée de 1989 : une merveille !

Ce qui frappe aussi beaucoup les Anglais comme les Suisses, ce sont les paysages bucoliques à perte de vue, sans une masure, sans un panneau publicitaire. C’est l’espace, sillonné de petites routes qui font la joie des conducteurs. Interrompus, ça et là, par des villages médiévaux, avec leurs chapelles romanes, leurs puits et leurs lavoirs. Et leurs délicieux auberges gastronomiques ! En Suisse, on n’a pas le même sentiment d’espace, il y a partout des maisons.

Et puis, la cité Plantagenêt du Mans est un vrai bijou de ville médiévale, la Carcassonne du Nord, merveilleusement préservée. Elle est d’ailleurs candidate 2016 pour L’UNESCO WORLD HERITAGE SITE. Et pour l’instant, c’est un lieu de tournage de films historiques incontournable, qui a vu filmer « Les trois Mousquetaires », « l’Homme au masque de fer », « L’avare » et nombreux autres films historiques. D’ailleurs, je croise une équipe de tournage plusieurs fois par an en faisant mon marché!

Et puis, il faut aussi mentionner le circuit mythique du Mans, où, à certaines dates de l’année, il est possible de conduire une Porsche sous le pont Dunlop, comme Steve McQueen.

Ah oui, alors là, on a envie de filer visiter la région, c’est sûr! :)
Dernière question: y’a-t-il des aspects de la vie en Suisse qui vous manquent encore aujourd’hui?

Le côté relaxe des rapports humains, le lac, bien sûr, et évidemment, les weekends de ski. Et mes amis de jeunesse. Et de pouvoir être fier de son pays, de vivre dans une vraie démocratie, d’avoir une certaine confiance dans ses élus. C’est un privilège que je n’apprécie que maintenant, tant durant toute ma vie en Suisse, cela me semblait normal, naturel.

Merci beaucoup à Marnie d’avoir partagé son histoire!

Et vous, la vie de château vous fait-elle rêver? Avez-vous envie de réagir à cet article?

 

kantutita

Signes particuliers: toujours une tasse de thé et un livre à la main! Suissesse expatriée en Alsace, après plusieurs escales en France et une parenthèse montréalaise, je blogue depuis plus de dix ans! Et je cultive un faible pour la papeterie, le chocolat et le Japon...

3 réflexions sur “Interview d’expat: une Vaudoise devenue comtesse!

  • Intéressant cette démarche… moi qui suis francaise et qui à l’inverse, ai choisi d’ouvrir une maison d’hôtes dans une vallée préservée du valais et au sein d’un authentique chalet valaisan. Merci pour ce joli billet découverte et une adresse à retenir.

    Répondre
  • Article très intéressant et, comme toujours, vivant et bien tourné. Je me permets de poster le lien sur SwissCommunity !

    Répondre
    • Merci Michèle! Et c’est gentil de relayer l’article sur SwissCommunity – merci beaucoup. Une très belle semaine!

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *