Expat: Gabriel, un Québécois en Suisse
De Montréal au canton de Vaud, le regard d’un Québécois sur la Suisse! Il partage des différences marquantes et des histoires d’accents…
Gabriel est un Québécois discret, qui n’aime pas être remarqué pour ses origines. Cela l’ennuie quand des inconnus tout juste rencontrés le démasquent! Du coup il tente de gommer son accent et d’utiliser des expressions vaudoises pour passer inaperçu. Amateur de hip-hop québécois, le Vaudois d’adoption prend ainsi plaisir à ajouter des « De bleu »! à ses phrases pour faire couleur locale.
Signe particulier: il est le président de l’Association des Québécois de Suisse, et nous dira un mot aussi sur le but de cette asso.
Comme j’ai pas mal la nostalgie de ma délocalisation à Montréal, je suis ravie d’accueillir Gabriel sur le blog! Merci à lui d’avoir répondu à mes nombreuses questions :P
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Interview: expatrié québécois près de Lausanne
Gabriel, mais qui es-tu, et que fais-tu en Suisse?
Je m’appelle Gabriel, j’ai bientôt 30 ans. Je vis à Savigny au milieu de la campagne vaudoise. De chez moi, c’est difficile de s’imaginer que Lausanne est à quelques minutes de voiture, tellement c’est calme. Je travaille à Renens, dans une entreprise spécialisée en études des magasins. Pour faire simple, je parcours le monde pour étudier des magasins afin de faire en sorte que les bons produits soient aux bons endroits. C’est un boulot hyper stimulant (et demandant) qui me permet de beaucoup voyager et de rencontrer pleins de gens intéressants.
Où as-tu grandi au Québec?
Quand les gens me posent cette question, je ne sais jamais comment répondre. La vérité est que j’ai grandi à Laval (Fabreville pour être plus précis). Pour le Suisse lambda, Laval c’est, disons, pas très éclairant. Je tente parfois d’expliquer que c’est une banlieue de Montréal et ceux qui ne sont pas très familiers avec l’urbanisme nord-américain me répondent «Ah oui? Un peu comme les banlieues françaises?». Non pas tout à fait.
Pour éviter tout malentendu et pour simplifier, souvent je dis que je viens d’une petite ville près de Montréal qui s’appelle Laval. Parfois, j’ose même dire que je viens de Montréal, c’est plus simple et pas très loin de la vérité. Car dès mes études secondaires, j’ai étudié à Montréal. Depuis mes 12 ans, j’y ai passé le plus clair de mon temps. Dès que j’ai pu m’enfuir de Laval, à 18 ans, je suis déménagé à Montréal sur le Plateau!
Depuis combien de temps vis-tu en Suisse et qu’est-ce qui t’a amené ici (et poussé à rester?)
Je suis arrivé début 2012: au début c’était pour terminer mon Bachelor à l’Université de Lausanne. Initialement, j’ai choisi la Suisse un peu par hasard. Je voulais absolument faire un échange dans le cadre de mes études universitaires, mais je ne savais pas où.
Lors de ma première année d’université à Montréal, j’ai rencontré une Suissesse avec qui j’avais gardé contact après son départ. Pour mon échange, elle m’a suggéré l’Université de Lausanne, je me suis dit pourquoi pas! Quelque temps après mon arrivée en Suisse, cette même Suissesse, Vinciane, est devenue ma copine et ma principale raison de ne plus quitter la Suisse!
Différences culturelles
Qu’est-ce qui te manque le plus du Québec?
C’est assez intangible: c’est d’être là-bas! C’est vraiment de baigner dans la culture québécoise qui me manque le plus. Au-delà de ça, bien sûr, il y a la famille, les amis, mais aussi des commerces, des rues, des odeurs, etc. Mais, au final, c’est vraiment le quotidien qui me manque le plus!
Qu’est-ce qui t’a le plus surpris en Suisse ?
Le plus surprenant c’est la diversité culturelle dans un si petit pays et surtout la relative cohésion de cette diversité ! Je suis assez admiratif devant la diversité des dialectes suisses allemands, des identités régionales suisses romandes et la présence de 4 langues nationales. L’attachement des gens à leur terroir, leur canton, leur région est tout aussi surprenant et franchement c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. Il y a une absence d’homogénéité culturelle qui génère une diversité intéressante à côtoyer et à découvrir!
Les Suisses sont-ils trop sérieux selon ton regard de Québécois?
Oui et non. D’une part, je suis une personne relativement calme et réservée, donc, pour moi le sérieux Suisse, ce n’est pas un problème. Au contraire, c’est souvent assez bienvenu, au sens où j’aime le calme, surtout dans la sphère publique. Par exemple quand je fais mes courses à la Coop ou quand j’attends au guichet à la poste.
Dans d’autres circonstances, le sérieux des Suisses, qui relève, selon moi, plutôt de la froideur, est un peu lourd. C’est difficile de décrire un moment précis où le « trop sérieux » se ressent, mais parfois, je trouve que la vie ici manque un peu de folies, d’humour, de rêve, de légèreté.
Histoires de mots
Utilises-tu des mots québécois quand tu parles aux Suisses?
En fait au fil des années en Suisse, j’ai développé différents niveaux de langage qui oscillent entre un français très québécois et un français très suisse. Ce qui est amusant, c’est que ces variations se sont faites de manière inconsciente et à aucun moment je n’ai eu l’intention de modifier ma façon de parler, c’était une sorte de mécanisme d’adaptation.
Assez rapidement, afin d’éviter les quiproquos en parlant avec des Suisses, j’ai commencé à dissimuler mon accent et à modifier mon vocabulaire et surtout la syntaxe de mes phrases. L’avantage était non seulement que j’étais mieux compris (ou simplement compris), mais aussi que les gens ont arrêté de remarquer que j’étais Québécois.
Et pourquoi donc veux-tu cacher tes origines?
Car s’ils repèrent mon accent, les gens me parlent systématiquement de leurs liens avec le Québec… Bien que quelques fois, cela donne lieu a un échange intéressant, force est d’admettre que la majorité des récits s’avèrent d’une banalité déconcertante. Par exemple: « Ah vous êtes Québécois! Vous savez, ma tante a habité sur la rue Sherbrooke, à Montréal. En 1978, je suis allé la visiter, c’était super. » Que répondre à ça? Cela part d’une bonne intention, mais je suis un peu blasé à force!
Bref en adoptant un bon parler vaudois, imparfait certes, j’ai pu mieux m’intégrer et vaquer à mes occupations sans me faire interrompre au quotidien par des «ah mais vous êtes Québécois» ou des «Pardon, je n’ai pas bien compris?».
Ça c’est pour la sphère publique, mais dans la sphère privée, je me laisse aller! Je parle sans me soucier de ce qui va être compris ou comment les choses vont être interprétées. Ça fait du bien, ça permet de se sentir soi-même d’une certaine manière! Conséquemment, certains Suisses dans mon entourage commencent à utiliser des expressions typiquement québécoises, ce qui est assez amusant!
T’est-il arrivé des quiproquos avec la langue?
Oui bien sûr et encore aujourd’hui souvent ma copine, que je côtoie depuis 10 ans, me dit, mais ça veut dire quoi ça? Le dernier en liste, je dis à ma copine, «Où c’est que tu t’en vas où avec tes skis là?» et elle me répond «Mais je ne vais pas faire de ski aujourd’hui… ». L’expression signifie plutôt, «avec tout ce que tu racontes/fais, où veux-tu en venir?».
Mais sinon, ma copine a vécu quelque temps au Québec, suffisamment longtemps pour vraiment bien comprendre d’où je viens et ma culture. C’est une des rares personnes que je connaisse en Suisse avec qui je peux être entièrement, et authentiquement, québécois sans que ce soit folklorique.
Quels mots suisses ou vaudois as-tu appris?
J’utilise tous ceux que j’entends (et dont je me souviens), comme « De bleu!, panosse, poutzer, poreau« . J’aime jouer avec la langue, d’une part ça m’amuse, mais surtout ça permet d’être authentique, créatif et de vraiment créer un langage qui reflète ma propre personnalité et mon parcours. Il n’est pas rare que je mélange mon parler québécois avec des mots ou des interjections en vaudois, en suisse-allemand et même en italien. (Car depuis que je suis en Suisse, je suis des cours d’italien). Ça donne des résultats assez intéressants!
Culture québécoise
As-tu des chanteurs québécois à recommander à nos lecteurs?
La musique hip-hop québécoise vaut vraiment le détour! C’est relativement peu connu, mais au Québec, au cours des dernières années, il s’est développé une scène rap incroyable. Il y en a pour tous les goûts, du rap absurde au rap festif en passant par le rap carcéral, mais aussi du rap plus mélodique. Les influences viennent de partout, Haïti, France, Belgique, US, Afrique et du Québec. Le tout réuni crée un son assez unique et franchement intéressant. C’est une scène originale très diversifiée, très créative et qui représente vraiment bien le Québec moderne.
Je vous conseille d’écouter le collectif Alaclair Ensemble (ils viennent même en Suisse une fois par année environ): ses membres font aussi une carrière solo. Par exemple:
Quels plats québécois fais-tu aux Suisses autour de toi pour les épater?
Je cuisine relativement peu de plats réellement québécois pour des invités. Lorsque j’en prépare, c’est souvent pour moi avant tout! Je le fais pour le réconfort, pour l’expérimentation ou simplement pour le plaisir.
J’aime bien faire une fois de temps en temps une tourtière, un pâté chinois, des bagels, un pouding chômeur, ou même une poutine, mais c’est loin d’être une habitude. Au final, ma passion c’est la pizza, rien de très québécois, mais tout aussi épatant!
Peut-on te croiser au pub québécois de Lausanne, Les Gosses du Québec?
Non, très peu souvent. C’est un endroit sympa, mais c’est vrai que j’y vais rarement, en fait, je fréquente peu les bars.
L’association des Québécois en Suisse
Tu fais partie de l’association des Québécois en Suisse, dont tu es le président. Pourquoi est-ce important pour toi de participer?
J’ai décidé de m’impliquer dans l’Association des Québécois en Suisse (AQS) parce que j’avais envie de côtoyer d’autres Québécois en Suisse et j’ai été servi! L’AQS m’offre la possibilité de, non seulement organiser des événements à thématique québécoise avec l’association, mais aussi de vivre ces évènements avec d’autres Québécois.
Je trouve très important de s’impliquer dans sa communauté afin de créer des évènements rassembleurs qui font vivre justement les communautés! Cela me donne le sentiment de faire œuvre utile et de créer des évènements qui font plaisir à tous ceux qui sont attachés aux Québec.
L’AQS, fondée en 1995, regroupe une centaine de familles-membres et les cotisations nous permettent d’organiser des évènements qui sont ouverts non seulement aux membres, mais aussi aux autres amoureux du Québec.
Les événements:
- Chaque année, nous organisons une Cabane à sucre, c’est une fête traditionnelle qui a lieu à la période où le sirop d’érable est produit. C’est l’occasion de manger un repas où le sirop d’érable est roi (jambon à l’érable, beans à l’érable, saucisse à l’érable, dessert à l’érable, etc.) et d’écouter de la musique québécoise.
- Ensuite nous organisons aussi la Fête nationale du Québec autour du 24 juin, c’est aussi un évènement rassembleur où on chante des chansons québécoises et on partage un repas!
As-tu l’impression qu’on a des clichés faux sur le Québec en Suisse, qu’est-ce qui t’agace?
Pour une raison qui m’échappe partiellement, les Suisses sont admirateurs du Québec et des Québécois, alors qu’au final très peu connaissent réellement le Québec. Effectivement, il est possible que les Québécois soient culturellement des personnes relativement conciliantes, accueillantes et simples. Je crois que cela favorise une opinion favorable des Suisses envers les Québécois.
Toutefois, ce que j’ai remarqué au fil des années c’est que ces qualités (ou du moins qualificatifs) sont souvent amplifiées au point de devenir clichés. J’ai eu parfois l’impression que les Québécois sont vus comme de simples rigolos et parfois ça frôle l’infantilisation. On m’a déjà eu dit «C’est drôle, mais vous les Québécois quand vous parlez, c’est toujours rigolo, même quand vous êtes fâchés». Cette vision mélangée à des clichés culturels un peu simplistes (Céline Dion, la poutine, les orignaux, la neige, etc.) me renvoie une image peu flatteuse de ma culture et je trouve que c’est un peu désolant.
Ce qui est d’autant plus surprenant, c’est à quel point plusieurs Suisses sont convaincus qu’il y a une très grande proximité culturelle entre le Québec et la Suisse romande.
Et quelle différence observes-tu entre les deux?
Ce qui est difficile à réaliser c’est à quel point le Québec vit une certaine autonomie culturelle vis-à-vis de la France. Contrairement à la Suisse romande où la culture française est omniprésente (tv, musique, art, etc.), le Québec a su développer un univers culturel autonome complètement méconnu du reste de la francophonie.
Au-delà de la production culturelle, il est aussi difficile pour les Européens francophones de concevoir à quel point les Québécois sont des Nord-Américains francophones et que cela a un impact important sur leurs préférences, leur valeur et même leur vision du monde.
À un certain point, les Québécois ont une plus grande proximité culturelle avec certains états américains du nord-est qu’avec la Suisse. Autant certains Français (ou même Genevois) aiment bien dire que les Vaudois sont des Allemands qui parlent français, j’ai parfois l’impression que les Québécois sont des Anglo-saxons francophones. Ça, c’est assez loin de la vision suisse des Québécois!
Merci beaucoup Gabriel pour ton témoignage d’expat!
Pour une tranche de Québec en Suisse
Voici le site de l’Association des Québécois en Suisse ainsi que leur page Facebook pour suivre leur actu, si jamais vous avez envie de vous rendre à un de leurs événements pour goûter à la culture québécoise.
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→ Retrouvez par ici d’autres interviews d’expats! La dernière en date est celle de Barbara, une Argentine venue s’installer en Suisse.
Merci Gabriel pour ton témoignage super intéressant, le Québec étant une région que je ne connais pas. Par contre, j’ai levé un sourcil en lisant que le rap québécois était influencé (entre autres) par le rap belge. Suisses habitant la Belgique depuis plus de 50 ans, je ne me suis jamais rendu compte de l’importance du rap du plat pays. Bon, c’est peut-être aussi parce que ce n’est pas vraiment de mon âge… ….
Bonsoir Monique!
Et oui le rap belge a une certaine notoriété dans le monde du rap francophone! Il y a même eu, autour des annés 2014-2015, une véritable vague belge dans le monde du rap! Tout ça a donné lieu à certaines collaborations intéressantes entre des artistes québécois et belges. Voici un lien vers une de ces fameuses collaborations belgo-québécoise qui date de 2018 (https://www.youtube.com/watch?v=5QUX8NmxxxU)!
Suspense, est-ce que notre chère Monique va se mettre à écouter du rap belge alors? :P
Salutations et prends bien soin de toi!
Kantutita
Hello, j’adore cette interview, cela nous montrent que nous avons tous des clichés, qui ne sont pas forcement réel et que la meilleure façon de connaitre un pays c’est d’aller y vivre.