Balade avec un âne dans les Cévennes
Avec un âne pour compagnon, nous avons suivi les traces de l’écrivain R. L. Stevenson dans le massif des Cévennes, au Sud de la France. Une expérience que nous avons adorée!
Robert Louis Stevenson, l’auteur de l’«Île au Trésor», a été enchanté par les beautés des Cévennes, qu’il entreprend de traverser en 1878. Éloge de la lenteur, l’écrivain écossais choisit de mener cette entreprise à pied, avec pour compagnon une ânesse espiègle, nommée Modestine. Il relate cette expérience dans un petit livre savoureux, qui raconte autant les paysages fantastiques des Cévennes que la relation houleuse à l’animal. Je l’ai dévoré, avant que cela soit notre tour de goûter à la nature indomptée de ces reliefs. Nous avons suivi ses pas le temps d’une journée, aussi accompagnés d’un âne et de son maître, autour de Saint-Germain-de-Calberte et sur le Mont Lozère.
→ A lire aussi: mes autres articles sur les Cévennes, un coin de France pour lequel j’ai eu un coup de coeur

Sur le Chemin de Stevenson (GR70)
L’animal aux longues oreilles nous jette un regard plein d’intelligence pendant que son maître l’harnache. Des gestes que l’écrivain Robert Louis Stevenson avait accompli ici, dans les Cévennes, au 19ème siècle! Il traversa alors le massif à pied, accompagné d’une ânesse au caractère bien trempé, Modestine. Nous ne vivons pas cette aventure avec Stevenson et Modestine, mais avec Jean-Pierre Marie et son âne Petit Nuage.
Grâce au livre de Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes une association (dont Jean-Pierre Marie fait partie) a pu retracer l’itinéraire de l’écrivain, devenu le GR70. Le Chemin de Stevenson, long de 220 kilomètres, mène du Puy-en-Velay à Alès dans un paysage de moyenne montagne.
Entre les plateaux volcaniques de la basse Auvergne, la région du Gévaudan, le Mont-Lozère et le pays des Camisards, il y a de quoi en prendre plein les yeux! Et différents tronçons peuvent être envisagés le long du GR70.

Randonner accompagné d’un âne
Le long du GR70, des gîtes d’étape assurent l’hébergement et le repas, tant pour les humains que pour les ânes. Ceux-ci paissent tranquillement dans un champ, tandis que les marcheurs goûtent au repos du juste à l’intérieur.
Il est possible de passer une dizaine de jours accompagnés d’un âne sur ce chemin de Grande Randonnée. Ou quelques heures (c’est ce que nous avons fait pour ce premier contact avec un âne en rando).
L’ânier Jean-Pierre Marie nous accompagne et nous guide autour de Saint-Germain-de-Calberte. Cet amoureux de ces animaux au regard profond loue des ânes avec sa fille Sophie à Saint-Privat-de-Vallongue.

Têtue comme Modestine: les déboires de Stevenson
Il est temps pour nous de partir, et notre guide me tend la longe. Après avoir assisté aux déboires de l’écrivain par livre interposé, je ressens une certaine appréhension à diriger Petit Nuage, un animal à la robe blanche et brun foncé. Il faut dire que la relation de Stevenson avec l’ânesse Modestine, dont il fait l’héroïne du roman, ne manque pas de piquant! La bête refuse d’avancer, n’en fait qu’à sa tête, et met l’auteur écossais dans de beaux draps.
« À peine hors du village, Modestine, possédée du démon, jeta son dévolu sur un chemin de traverse et refusa positivement de le quitter. »
R.L. Stevenson « Voyage avec un âne dans les Cévennes«
Il se perd à travers champ pour la rattraper, mais n’oublie pas pour autant de s’émouvoir devant la beauté des paysages cévenols.

En suivant ses traces, nos yeux découvriront à leur tour les grands causses, ces plateaux calcaires qui offrent une vue sauvage et dégagée, ainsi que les gorges encaissées et les châtaigneraies. Nous traversons un paysage tout en dénivelé.
Friand de châtaignes
Mes craintes de voir Petit Nuage jouer les Modestine et s’enfuir soudainement semblent infondées: elle trottine sagement à nos côtés, à bon train sur le chemin escarpé… jusqu’à ce que nous pénétrions dans un bois.
Elle découvre alors le sol jonché de châtaignes: les amateurs n’ont qu’à se baisser et en remplir leurs poches. Comme c’est l’automne, les forêts des Cévennes en regorgent, alors que les feuilles des arbres prennent les couleurs magiques de la saison. Notre ânesse, friande de ces fruits, refuse de faire un pas de plus! Elle croque, croque ces délices à grand bruit, arc-boutant son cou pour ne pas être dérangée par nos tiraillements intempestifs!

Jean-Pierre nous a expliqué dès le début qu’avec un âne, il ne fallait pas se laisser faire! Au début, il sonde son accompagnant, alors il faut être ferme dès le départ… Châtaigne ou pas châtaigne!
Interlude: les Cévennes, pays de châtaignes

Dans la vallée, des fumées s’élèvent ici et là: c’est la saison où on fait sécher les châtaignes dans des clèdes. Chaque maison cévenole aux murs de schiste possédait son propre séchoir avant, mais ils se font rares de nos jours. Dedans, les fruits sont posés sur un grillage, au- dessus d’un feu. Celui-ci doit fumer sans flamme, et chauffer modérément mais continuellement les châtaignes. La farine et la confiture de châtaigne figurent en bonne place parmi les spécialités de la région, aux côtés des fromages de chèvres nommés pélardons.

Des châtaignes sèchent dans une clède: elles serviront à confectionner farine et confitures.
L’âne, un compagnon à prendre en main en rando

Jean-Pierre Marie nous confie quelques secrets sur les ânes… C’est un compagnon agréable, qu’il faut toutefois savoir prendre en main dès le départ. Les premières minutes sont cruciales: si vous le laissez s’écarter de la route selon son bon vouloir pour y grignoter un brin d’herbe, il sera plus difficile de le ramener sur le droit chemin… et cela tout au long de la randonnée! Ces animaux intelligents testent leur meneur. Il faut donc être fermes dès le début.
Pas question toutefois d’appliquer les méthodes de Stevenson! Ce dernier utilise la manière forte pour faire avancer Modestine, en la frappant d’un aiguillon, la baffant en pleine tête, la cravachant sans discontinuer! Un tableau jugé peu émouvant au 19ème siècle, évidemment, mais qui a de quoi choquer de nos jours. « Il a vraiment maltraité ce pauvre âne! » regrette Jean-Pierre Marie, grand amoureux de ces animaux attachants.


Point nature: Les multiples facettes de la nature cévenole se dévoilent aussi à nos yeux durant la balade. On cherche des yeux la silhouette d’un vautour: ils ont été réintroduits ici dans les années 70 et nous étions allés les voir à Maison des Vautours de Saint-Pierre-des-Tripiers (article par là). D’autres rapaces comme l’aigle royal ou le faucon pèlerin sont aussi établis dans la région. Nous apercevrons surtout des faucons planant dans un ciel sans nuages, ce jour-là!

Les Cévennes de Stevenson
Au fil du chemin de Stevenson, les paysages défilent et ne se ressemblent pas. C’est émouvant de penser que l’écrivain a contemplé les mêmes, car ils ont peu changé dans les Cévennes restées sauvages.
Nous nous sentons légers car nous avons confié nos affaires à l’âne, qui les porte dans deux gros sacs pendant sur ses flancs. Petit Nuage avance assez sagement et à une bonne allure– malgré son attirance incontrôlable pour les châtaignes! Heureusement, nous restons à découvert pour le dernier tronçon, qui grimpe.
L’effort en vaut la chandelle: nous touchons au but, un panorama à couper le souffle avec en fond le soleil qui décline, où notre guide souhaitait nous amener. Depuis un promontoire rocheux, nous dominons des monts boisés. En bas, dans les vallées, les habitants se concentrent dans de petits villages. Pendant que je prends des photos, l’âne s’arrête et semble admirer la vue.
Dans ces montagnes où l’influence de l’homme se fait invisible, on se sent si petits…

« De hautes montagnes rocheuses, aussi bleues que du saphir fermaient l’horizon. Entre elles s’étageaient rangées sur rangées, des montagnes couvertes de bruyères et rocailleuses, le soleil étincelant sur les veines du roc, le taillis envahissant les ravins, aussi âpre qu’au jour de la création. »
Robert Louis Stevenson, in « Voyage avec un âne dans les Cévennes »
Plus d’un siècle s’est écoulé depuis que l’écrivain-voyageur a contemplé les Cévennes – et pourtant le temps semble être suspendu dans ce lieu…

Pour aller plus loin
- A lire absolument avant de tenter l’aventure: Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson
- D’autres itinéraires sont dédiés à Stevenson en Europe, comme celui-ci qui traverse l’Ecosse
- Organiser sa rando sur le site du chemin de Stevenson (Cévennes)
D’autres articles sur les Cévennes sur le blog
Parce que c’est un coin de France que j’adore!